Les Arsouilles, une maison médicale de quartier

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Table des matières

« Ma motivation quand j’ai choisi la médecine générale, c’était d’accompagner les personnes que j’allais soigner dans une meilleure maîtrise de leur santé ».

Françoise Laboureur

« La sensation qu’ont les gens d’avoir prise sur leur existence et de partager leurs préoccupations avec les voisins, ça a un effet extrêmement bénéfique. C’est là qu’on voit le lien avec la santé des habitants ».

Pierre Brasseur.

Le modèle des maisons médicales nait à la fin des années 1960 dans le but de proposer une alternative au modèle des soins de santé de l’époque. Les maisons médicales s’opposent à « » alors en vogue, et souhaitent offrir une meilleure accessibilité aux soins de santé primaires. Au niveau international, la conférence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 1978 à Alma Ata met également en avant cet objectif en invitant les différents pays participants à mettre en place les structures nécessaires pour y parvenir. .

Par ailleurs, la charte d’Ottawa en 1986, fait suite à la conférence d’Alma Ata. Par la charte d’Ottawa, l’OMS fonde le courant de la « promotion de la santé » en réponse au constat que l’état de santé global des populations ne s’améliore pas proportionnellement à l’amélioration de l’offre et de la qualité des soins. Et ce, d’autant moins que l’on se retrouve bas dans l’échelle sociale. Il faut agir sur d’autres causes qui déterminent la santé et échappent à l’action des dispositifs médicaux et des actions de santé publique. La charte d’Ottawa, en l’occurrence, va plus loin et prévoit la « participation des citoyens à l’élaboration et la mise en œuvre de différentes stratégies en vue d’atteindre une meilleure santé ». La charte propose différents moyens de participation dont l’approche communautaire. «».

En somme, la santé communautaire apparaît comme l’outil parfaitement adapté aux méthodes et aux valeurs promues par les maisons médicales. .

Pour autant, chaque maison médicale est née d’un projet et d’un constat qui lui est propre. Une maison médicale ne ressemble pas à une autre. Cet article a pour but de retracer l’histoire de la maison médicale « Les Arsouilles », à Namur, et de souligner deux de ses caractéristiques : son ancrage territorial et son travail en santé communautaire.

L’interview de Françoise Laboureur et Pierre Brasseur, médecins fondateurs de la Maison médicale, constitue la source principale de cet article. Elle est complétée par les archives de la Fédération des maisons médicales, conservées au CARHOP, la revue Feuille de chou de la Maison médicale des Arsouilles, et d’autres articles sur le sujet.

Une maison médicale en devenir

Implantée dans le quartier Saint-Nicolas à Namur, la Maison médicale Les Arsouilles est créée en 2000 et trouve son origine dans une association de plusieurs médecins généralistes et d’une psychologue, fondée cinq ans plus tôt, dont font partie Pierre Brasseur et Françoise Laboureur. L’intérêt du docteur Laboureur pour la pratique en maison médicale remonte à ses études lorsqu’elle réalise, avec deux autres étudiantes, le projet d’une maison médicale comme travail de fin d’études. Celui-ci est à l’origine de la première maison médicale de Namur à Bomel, créée en 1994. C’est dans le cadre de ce travail qu’elle rencontre le médecin Pierre Brasseur.

À l’époque, Pierre Brasseur travaille en cabinet privé, mais a également développé un intérêt pour les maisons médicales lors de ses études universitaires, dans les années 1970. Il rappelle que l’apparition des premières maisons médicales s’accompagne du développement de centres de santé mentale et plannings familiaux. Ces collectifs s’inscrivent « ». Pierre Brasseur raconte : «  »

Lorsqu’il ouvre son cabinet privé à Namur en 1985, Pierre Brasseur rêve déjà depuis longtemps de créer une maison médicale, et plus particulièrement dans le quartier Saint-Nicolas. . Nombre d’associations et d’organisations sociales s’y installent également.

. . On peut le constater, le quartier Saint-Nicolas n’est pas exempt de vie associative, lorsque la Maison médicale apparait. Cependant, ces associations ne sont pas nécessairement dirigées vers la vie de quartier. Celles liées au MOC couvrent un territoire bien plus grand que le quartier Saint-Nicolas, et seulement quelques associations, telles que l’école de devoirs et le Cinex se préoccupent du quartier en tant que tel.

Plan du quartier Saint-Nicolas, 4 juillet 2024, XMU, Opération de redynamisation. Quartier Saint-Nicolas. Namur, 4 juillet 2024, p. 8. Copyright © 2024 Entreprise XMU.

« Il suffisait de pousser la porte », vers la création de la maison médicale

Installé depuis 1985, Pierre Brasseur occupe un cabinet au premier étage d’une maison, sur la place l’Ilon. En 1995, le Fonds du logement lui donne l’opportunité de louer un rez-de-chaussée pour créer une association de médecins dont Françoise Laboureur fait partie, avec un autre médecin généraliste et une psychologue. À l’époque, la coopérative « Fonds du logement » est propriétaire de plusieurs bâtiments qu’elle souhaite louer pour des services et non plus pour des commerces. . «  », explique le docteur Laboureur.

L’impact des caractéristiques des nouveaux locaux surprend les médecins. Contrairement au cabinet privé du Dr. Brasseur situé au premier étage, les locaux de l’associations de médecins sont plus accessibles. Il suffit de pousser la porte pour entrer dans la salle d’attente. Ce rez-de-chaussée a permis aux habitant.e.s du quartier d’entrer directement en contact avec un médecin. Notamment, des primo-arrivants (la communauté albanaise ou bengali), mais aussi des patients envoyés par le CPAS passent le pas de la porte. Pierre Brasseur explique : «  ».

Ainsi, franchir le pas vers la constitution en maison médicale apparait comme une évidence. À cette fin, l’équipe est accompagnée par la Fédération des maisons médicales qui a mis à sa disposition un travailleur pendant un an pour les aider à constituer leur dossier, en vue de recevoir l’agrément comme maison médicale. Il est approuvé par l’assemblée générale de la Fédération en 2000, la Maison médicale ouvre ses portes peu de temps après. .Aujourd’hui elle est constituée de 23 travailleurs : médecins, kinésithérapeutes, infirmiers, assistants sociaux, accueillantes, coordinatrice et une travailleuse en santé communautaire.

Lien entre maison médicale et quartier : une spécificité des Arsouilles

«  » explique le docteur Laboureur. Le logement n’y était pas cher, et souvent en mauvais état, de ce fait, les gens y habitaient très peu de temps et partaient dès qu’ils le pouvaient.. Afin de redynamiser le quartier Saint-Nicolas, la Maison médicale réalise divers projets en santé communautaire. La santé communautaire est une démarche qui consiste à impliquer un groupe de personnes pour qu’elles redeviennent actrices de leur santé. « Nous on y croit très fort à cette action globale car on se rend compte combien la santé psychologique est influencée favorablement par toute cette dynamique » expliquent les deux médecins. L’inclusion des habitants dans le travail de l’équipe médicale intervient à plusieurs niveaux. . Certains font partie de l’AG de la Maison, d’autres participent également à l’écriture de la Feuille de chou, la petite revue de la Maison médicale, etc. Celle-ci apparait en 2011 et a pour objectif de partager des conseils en matière de santé et de qualité de vie. On y retrouve des articles médicaux, mais également des appels à une marche mensuelle (devenue hebdomadaire depuis septembre 2024), des recettes de cuisine, des actualités sur le quartier et la Maison médicale, etc. Cette revue permet également à la Maison médicale de rappeler à ses usagers son fonctionnement, ses règles et ses changements. C’est un moyen de rapprocher l’équipe médicale des habitant.e.s et patient.e.s du quartier. Les habitants s’investissent petit à petit dans le quartier au travers d’autres projets communautaires tels que le P’tit Kawa, un café hebdomadaire partagé à même la rue, le potager communautaire Les Herbes folles, etc.

Inauguration du jardin des Herbes folles, Maison médicale du quartier des Arsouilles asbl, Facebook, page consultée le 27 novembre 2024.

Focus sur un projet de santé communautaire : Coquelicot

Focus sur un projet de santé communautaire : Coquelicot

Un des premiers projets de santé communautaire de la Maison médicale est le projet Coquelicot. En 2003, la Maison médicale réalise deux constats. D’une part, l’état de santé physique des patients est très mauvais. . D’autre part, l’état du logement est inquiétant et l’environnement urbain dans le quartier est très dégradé. Les logements sont délabrés et insalubres. Il y a une absence totale d’infrastructures urbaines telles que des aires de jeux, des poubelles, des bancs publics, etc. .

Forte de ces constats, l’équipe médicale décide de tenter une approche plus communautaire, afin de résoudre ces différents problèmes. Dans un premier temps, elle mobilise les associations et pouvoirs publics afin de discuter de l’avenir du quartier. À sa grande surprise, quantité de monde répond à son appel. « Dans la salle du Cinex, c’était bondé (…), même la police était venue » raconte Pierre Brasseur. La situation du quartier en « intéresse donc plus d’un ». En 2005, la Maison médicale démarre le projet Logement, santé et développement quartier Saint-Nicolas financé par la Communauté française. Cela débute par une enquête longue et minutieuse auprès des habitant.e.s du quartier. .

Un premier résultat se présente. Les habitant.e.s semblent motivés à se mobiliser autour des problématiques liées à la vie sociale et associative dans le quartier. «  », raconte Françoise Laboureur. Dans un second temps, des groupes de travail se mettent en place. Ils rassemblent des habitant.e.s, représentant.e.s d’associations et pouvoirs publics. .

Affiche informative. Intéressé par la vie de quartier ? Désireux de vous y investir ? D’avoir votre mot à dire ?, 2 octobre 2024, asbl Coquelicot, Facebook, page consultée le 27 novembre 2024.

Tout au long de ce projet, la Maison médicale tient le rôle central, dans le but de continuer à promouvoir la santé. À terme, elle souhaite prendre un rôle plus secondaire. À cette fin, et pour consolider la mobilisation naissante, il devient nécessaire de créer un organe de concertation de quartier. Cet organe sera chargé de récolter les avis et les besoins des différents acteurs du quartier Saint-Nicolas, de soutenir les projets et d’« » Par ailleurs, il est important que les habitant.e.s du quartier prennent leur place dans ce nouveau dispositif. Ils seront dès lors, représentés par un comité d’habitants. En conclusion de ce long processus, l’asbl Coquelicot (Concertation-quartier-lien-coordination) nait en 2009. Il s’agit d’une structure permettant de consulter les acteurs du quartier (habitants, associations, pouvoirs publics, maison médicale, etc.) à propos des problématiques que les habitants peuvent rencontrer et de concrétiser des actions. Par exemple, en 2023, les habitants du quartier Saint-Nicolas se sont opposés à la création d’un « hub de dépôt » (hangar de stock de marchandises) par la ville dans le quartier au travers d’une lettre destinée à la ville. . La mise en place de Coquelicot permet à la Maison médicale de se recentrer sur son métier principal d’acteur de la santé tout en restant un acteur du quartier.

Maison médicale Les Arsouilles, « La rue Ponty va devenir piétonne ? Pourquoi ? Comment ? Mais d’où vient cette idée ? », Feuille de Chou. Les Arsouilles en santé, avril-mai-juin 2022, p. 7.

Un enjeu actuel : la gentrification

La question qui préoccupe la Maison médicale depuis deux ans est le problème de la gentrification dans le quartier Saint-Nicolas. La gentrification est « ». Cela s’illustre par l’opération de redynamisation du quartier Saint-Nicolas. Celle-ci s’inscrit dans une remise à neuf de la ville de Namur au travers des différents travaux (extension du piétonnier, rénovation de la salle de spectacle Grand manège, construction du palais de justice, etc.). À présent on parle du quartier Saint-Nicolas comme un quartier « ». Les loyers sont de plus en plus élevés, obligeant une partie des habitant.e.s à quitter leur logement, et une nouvelle population plus aisée s’installe dans le quartier. . C’est pourquoi la Maison médicale mène des campagne d’affichage afin de sensibiliser la population à la question. Ces affiches sont réalisées dans le cadre d’activités en santé communautaire lors d’un atelier de sérigraphie.

L’équipe organise également des conférences, notamment avec Mathieu Van Criekingen, géographe à l’ULB, ainsi qu’une conférence gesticulée avec Sarah De Laet sur le thème de la spéculation, afin que les habitants comprennent et puissent poser leurs questions relatives à cette problématique. La Maison médicale et les habitant.e.s sont pleinement acteurs de cette lutte et interpellent la commune, ainsi que le CPAS qui possède une série de bâtiments dans la rue. .

Gentrification. Quartier en lutte. Zone à risque… de gentrification !, (Winandy N., “Le quartier Saint-Nicolas à Namur …”).

Conclusion


« La santé communautaire se distingue par un rapport au social marqué par la participation et l’insertion dans une démarche de développement » expliquent les auteurs de l’étude de 2012 sur la notion de «  ». Le but est de permettre aux individus de prendre conscience de leur capacité à « faire face aux situations difficiles, clé pour le maintien de la santé mentale ». Ceci caractérise une des missions que la Maison médicale Les Arsouilles s’est donnée en s’installant dans le quartier Saint-Nicolas. En effet, Pierre Brasseur explique qu’une dynamique de démocratie directe est enclenchée dans le quartier depuis plusieurs années. La mise en place d’une dynamique de santé communautaire dans le quartier a permis aux habitant.e.s de se sentir écoutés et de réaliser ce qu’ils étaient capables de faire.

. Cependant, cette participation des habitants à la vie de leur quartier a également le revers de sa médaille. Le docteur Brasseur explique qu’on sent également qu’une telle vie de quartier pourrait déplaire dans les administrations et les lieux de décisions politiques. Le hub n’est pas le seul point auquel les habitants se sont opposés. Les habitants se mobilisent régulièrement en faveur ou en opposition de projets défendus par la ville et ayant un impact sur le quartier. «  », explique Pierre Brasseur. Il continue en disant «  ».

On le voit, l’action de la Maison médicale des Arsouilles dépasse de loin l’acte médical. L’équipe se place dans une approche globale qui prend en compte la santé physique et mentale des habitants, mais également leur environnement économique, social et de logement. En effet, se préoccuper de l’habitat et de la santé psychologique des habitants permet à ceux-ci de retrouver un lien social. Françoise Laboureur résume ainsi « »

Maison médicale Les Arsouilles, « Venez comme vous êtes ! Notre Maison médicale souhaite accueillir tout le monde sans discrimination », Feuille de Chou. Les Arsouilles en santé, juillet-décembre 2024, p. 13.

Lepage E., « Les Arsouilles , une maison médicale de quartier », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n° 26 : Les maisons médicales, le droit à la santé pour tous et toutes ! Panorama d'initiatives inspirantes, mai 2025, mis en ligne le 28 mai 2025, https://www.carhop.deligraph.info/revuecarhop/