
Dans le paysage de la médecine de première ligne, les maisons médicales de Médecine pour le Peuple occupent une place particulière. Pionnier dans la création des centres de santé de proximité, ce réseau coordonne aujourd’hui 11 maisons médicales multidisciplinaires, toutes affiliées au Parti du travail de Belgique (PTB-PvdA). , « ». Les 11 maisons médicales se situent en Flandre (Hoboken, Zelzate, Genk, Deurne, Lommel), en Wallonie (Marcinelle, Herstal, La Louvière, Seraing) et dans la Région de Bruxelles-Capitale (Schaerbeek et Molenbeek). Des médecins, des infirmier.e.s et du personnel d’accueil forment l’équipe de base, rejoints en fonction des besoins locaux par des kinésithérapeutes, psychologues, diététicien.ne.s et assistant.e.s social.e.s. Médecine pour le Peuple regroupe aujourd’hui quelque 220 salariés, des bénévoles et environ 25 000 patient.e.s. Tous et toutes constituent la force de Médecine pour le Peuple et se sont mobilisé.e.s à de nombreuses reprises pour défendre ses médecins et son modèle de santé pour tous et toutes.
Hoboken en 1971 : ici on soigne « gratis »
. Kris Merckx est un militant communiste. Pendant ses études de médecine à l’Université catholique de Louvain (1962-1968), il a milité pour la scission de l’université : une université pour les Flamands à Leuven, une pour les Francophones en Wallonie. Délégué des étudiants en médecine, puis pour l’ensemble des facultés, il a rejoint le syndicat étudiant marxiste, le Studentenvakbeweging (SVB) créé au printemps 1967. Ce syndicat fait évoluer politiquement la contestation étudiante vers une réforme fondamentale de l’université (participation, démocratisation, réforme des programmes) et milite pour l’ouverture de l’université à toutes les classes sociales, car il s’agit aussi de rapprocher l’université du peuple. En 1968, le SVB décide de sortir des auditoires pour aller vers la classe ouvrière.
Kris Merckx est diplômé en juin 1968, mais il poursuit une spécialisation en médecine interne et reste mobilisé sur différents fronts des luttes ouvrières : les grèves des mineurs du Limbourg (1968 et 1970), celles de Ford-Genk (1968) et Michelin (1969) ainsi que les longues grèves du textile à Gand et des chantiers navals de Cockerill Yards à Hoboken (4 mois en 1970). Présent sur les piquets dans le Limbourg et à Hoboken, Kris Merckx soigne gratuitement des mineurs grévistes et leurs familles. .
De médecins à vocation sociale à Médecine pour le Peuple
C’est à Hoboken que quelques mois plus tard en octobre 1971, Kris Merckx choisit d’ouvrir un cabinet médical avec Michel Leyers (qui vient d’être diplômé médecin). Ce lieu n’est pas fortuit. C’est en effet à Hoboken que le délégué syndical des chantiers navals, Jean Saeys, avait attiré l’attention de Kris Merckx sur la maladie des brûleurs qui frappait ces ouvriers exposés aux vapeurs toxiques d’oxyde de zinc. Kris Merckx constate lui aussi les maladies des ouvriers, auxquelles il donne une dimension politique : à l’évidence, « ». L’observation des problèmes sanitaires amorce un travail de recherche pour en définir les causes. L’action politique suit : la dénonciation des conditions de travail, la reconnaissance comme maladie professionnelle et l’obligation pour l’entreprise de prendre en charge les victimes et d’installer des équipements de prévention.
Le délégué syndical Jean Saeys propose alors de rendre pérenne cette « médecine pour le Peuple » et, forts de ce soutien, Kris Merckx et Michel Leyers ouvrent leur cabinet médical « Médecins pour le Peuple ». Les familles ouvrières affluent : . Ce n’est pas une médecine « gratuite », mais un acte médical au tarif INAMI, suivant le principe que les travailleurs cotisent à la sécurité sociale et que rien ne justifie de les faire contribuer davantage à leur santé. Ce n’est pas non plus une médecine « au rabais » : chaque consultation dure 20 minutes et plus si nécessaire. I, les deux médecins établissent des fiches médicales par patient, ce qui leur permet de faire sur le temps long le suivi des pathologies et des protocoles de soin, mais aussi de repérer les récurrences. Parmi leur patientèle, ils observent sur des femmes migrantes, une ablation systématique de la vésicule, sans qu’elles puissent en expliquer les raisons. Ils dénoncent cette pratique d’interventions « inutiles » remboursés par l’INAMI et ils en tirent une conclusion mobilisatrice : « ». Au sein de leur patientèle ouvrière, ils constatent certaines pathologies surreprésentées et font le lien avec les conditions de vie, l’environnement et les effets de la pollution sur le développement des maladies, ce qu’ils dénoncent : vivre en bonne santé dans un environnement sain est un droit qui réclame une action politique.
L’initiative est un succès et, avec le soutien de syndicalistes et de patients, l’équipe s’étoffe et le cabinet devient maison médicale. Elle devient aussi un modèle à suivre : dans les années qui suivent, d’autres médecins d’AMADA-TPO décident à leur tour d’ouvrir des maisons médicale Médecine pour le Peuple.
Le Parti prend le relais
Au congrès d’octobre 1979, AMADA-TPO devient le Parti du travail de Belgique– Partij van de arbeid van België (PTB-PvdA). Le Congrès adopte ses lignes fondamentales et définit sa stratégie d’action. Un réseau de maisons médicales Médecine pour le Peuple est désormais coordonné par le Parti qui en assure le développement et porte ses revendications : . Le Parti met aussi à l’agenda politique des problématiques qui émergent des soins de première ligne, une pratique qui reste d’ailleurs toujours d’actualité : en 2024, Médecine pour le Peuple mène une enquête sur les troubles musculosquelettiques dans le secteur des titres-services, tandis que les député.e.s PTB dans les différents parlements appellent à l’élargissement de la reconnaissance de maladies professionnelles.


Le réseau Médecine pour le Peuple se consolide
À la suite de l’intégration de Médecine pour le Peuple dans le plan d’action du PTB-PvdA en 1979, des équipes interdisciplinaires ouvrent de nouveaux centres de santé ancrés dans un milieu ouvrier (Genk, Zelzate, etc.). Souvent, le PTB envoie les futur.e.s médecins faire un stage en usine pour qu’ils expérimentent la condition ouvrière avant d’exercer comme médecin. . En 1985, ce sont neuf ASBL qui salarient 25 praticiens, des psychologues, des assistants sociaux et des infirmières et Médecine pour le Peuple a désormais un responsable national, Harry Dewitte. À partir de 1984, la coordination organise un week-end annuel de rencontre qui est ouvert à tous les travailleurs et travailleuses et à tous les étudiant.e.s du secteur des soins de santé. Ils y abordent les principes de fonctionnement des maisons médicales car « ». Le 17 juin 1987, le premier numéro trimestriel Médecine pour le Peuple paraît, qui est entièrement consacré aux « marchands de pilules ». et ses articles permettent de mutualiser les pratiques et de construire un socle commun pour une politique de santé portée par le Parti.
. , [Claudio, pourrais-tu insérer un hyperlink avec l’article sur l’histoire de la FMM, dans ce même Dynamiques ?]. En Flandre, la coordination du secteur de la santé de première ligne est assurée depuis 1991 par la Vereniging van Wijkgezondheidscentra [Association des centres de santé de quartier].
Lutter pour un autre modèle de médecine
En pratiquant une médecine selon les principes communistes, Kris Merckx et Michel Leyers enfreignent les règles de l’exercice médical et portent potentiellement atteinte aux intérêts des praticiens privés. Leurs confrères d’Hoboken ne tardent d’ailleurs pas à déposer plainte pour concurrence déloyale auprès de l’Ordre des médecins, qui leur intime l’obligation de réclamer le ticket modérateur, ce qu’ils refusent. Le 11 décembre 1972, l’Ordre des médecins prononce une première sanction à l’encontre de Kris Merckx, qui écope d’une semaine de suspension de l’exercice médical pour non-respect de « ». Il sera ensuite poursuivi au pénal pour exercice illégal de la médecine.

Entre 1970 et 1979, quasi tous les médecins de Médecine pour le Peuple subissent le même scénario : suspension par l’Ordre des médecins, refus d’obtempérer et maintien de leurs pratiques médicales, procès pour exercice illégal de la médecine. Les condamnations sont loin d’être insignifiantes, allant d’une simple remontrance à des peines de prison (avec sursis ou ferme). En 1973, le Parquet va jusqu’à réclamer que Kris Merckx se soumette à un examen psychiatrique… ce qu’aucun psychiatre n’accepte de faire, la question étant politique et non médicale. . Dès 1973, un Front de soutien contre les poursuites s’organise pour répondre aux menaces.
Lutter contre le monopole de l’Ordre des médecins
En décembre 1979, les Chambres syndicales des médecins (dont le leader est le docteur Wynen), contestent les mesures inscrites dans la loi programme du gouvernement Martens I (avril 1979-1980) à savoir l’inscription obligatoire du patient chez un généraliste, l’obligation de consulter un généraliste avant de consulter un spécialiste, l’introduction de la souche fiscale jointe à l’attestation de soins, le contrôle de la production des actes médicaux (profils de praticiens) et l’obligation du carnet médical pour chaque patient, ce qui à leurs yeux, violerait le secret médical. D’autres mesures portent sur le prix des médicaments, la maîtrise de la croissance en biologie clinique, la limitation des équipements et des infrastructures. Vu le manque de concertation, le mot d’ordre de grève, soutenu par l’Ordre des médecins, est lancé le 21 décembre 1979. Sept médecins sur dix suivent le mouvement.

Estimant cette grève non fondée, près de 3 500 médecins (dont ceux et celles de Médecine pour le Peuple) la boycottent, et ils reçoivent le soutien de bon nombre de mouvements de gauche. . Ces médecins accusent l’Ordre d’avoir manqué à sa neutralité et exigent sa réforme en un Conseil national d’éthique médicale composé de médecins, de moralistes et de représentants des patients. S’ensuit la mise en place d’un groupe de pression « Aktie Order-Action Ordre » et le refus de payer leur cotisation à l’Ordre. Les conséquences sont immédiates : la cotisation est une obligation légale et l’Ordre ordonne aux médecins « rebelles » de la payer et, à défaut, ordonne la saisie de leurs biens et/ou de leur salaire.
La résistance s’organise. Les violences policières à l’occasion des saisies (à Zelzate en 1983, à Genk en 1985) et les lourdes condamnations des médecins, soulèvent des protestations dans différents milieux : des manifestations sont organisées, des pétitions circulent pour exiger une réforme de l’Ordre, la fin de l’exclusion des médecins de Médecine pour le Peuple de l’organisation des gardes médicales et le droit à une médecine alternative. pour la défense de Médecine pour le Peuple et pour la suppression de l’Ordre des médecins car « ». La large mobilisation oblige finalement Ordre des médecins à faire marche arrière.

La pression contre les médecins qui refusent de verser leur cotisation, et en particulier ceux qui exercent à Médecine pour le Peuple, s’estompe quelque peu, mais il faudra encore attendre plus de 30 ans pour une résolution du conflit. Dans le Journal du médecin du 28 janvier 2019, Michel Deneyer (vice-président néerlandophone de l’Ordre) et Dirk Van Duppen (de Médecine pour le Peuple) annoncent que l’Ordre cessera ses poursuites et que Médecine pour le Peuple mettra fin à sa grève des cotisations. « C’est la fin d’un long conflit : le club est à nouveau complet et les médecins de Médecine pour le Peuple font dorénavant à nouveau partie de la profession », précise le rédacteur, Geert Verrijken. Cette réunification ne s’est pas faite sans difficulté et des efforts mutuels ont été nécessaires pour atteindre ce but : « » « ».
En 2021, Médecine pour le Peuple a fêté ses 50 ans d’existence
Le 18 avril 2021, Médecine pour le Peuple a fêté ses 50 ans d’existence. Créée en 1971 par deux médecins militants d’inspiration marxiste-maoïste, le mouvement a gardé intacte sa volonté d’allier la santé de première ligne et l’action politique, posture qu’elle revendique tant sur son site internet https://medecine-pour-le-peuple.be/] et que dans sa charte « Texte de vision », revue et rééditée en 2022 : « ». À Médecine pour le Peuple, les collaborateurs.trices et les patient.e.s veulent changer la société.


L’approche est politique, marxiste plus précisément. Elle repose sur trois revendications majeures : la santé est un droit, ce qui signifie pour les patient.e.s, l’accès universel et gratuit à des soins et à une médecine de qualité. La seconde repose sur le constat que les inégalités sociales, le travail et un environnement dégradé impactent directement la santé des plus précaires, à savoir les classes populaires : « Si les enfants ont trop de plomb dans le sang », précise Sofie Merckx, médecin, députée fédérale et porte-parole de Médecine pour le Peuple « » La recherche est nécessaire pour identifier les déterminants d’une dégradation très inégalitaire des conditions de vie et agir pour les supprimer. Chacun.e a le droit de travailler sans se rendre malade et a le droit de vivre dans un environnement sain. Enfin, Médecine pour le Peuple critique le système de santé capitaliste visant le profit de certains (médecins, laboratoires, industries pharmaceutiques) au détriment des populations. Pour cette organisation médicale et politique, « » C’est dans notre ADN, poursuit Janneke Ronse, infirmière et présidente de Médecine pour le Peuple : « »
Coenen M.-Th., « Médecine pour le Peuple : des maisons médicales luttent pour le droit à la santé », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n° 25 : Les maisons médicales, le droit à la santé pour tous et toutes !, décembre 2024, mis en ligne le 18 décembre 2024, https://www.carhop.deligraph.info/revuecarhop/